A-t-on besoin de certitudes pour agir ?

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Dans le monde complexe dans lequel nous vivons, l’action et la prise de décision sont souvent entourées d’incertitude. Une question philosophique qui se pose naturellement est alors : avons-nous besoin de certitudes pour agir ? Pour répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de comprendre ce que signifie avoir une certitude et comment cette notion se situe entre la nécessité réelle et l’illusion subjective. Nous explorerons ensuite comment l’incertitude peut être un moteur d’action et les enseignements que nous pouvons tirer de la philosophie sceptique à cet égard. Nous examinerons également comment l’action sans certitude est non seulement courante, mais souvent nécessaire dans notre vie quotidienne. Enfin, nous nous pencherons sur la quête de certitude dans l’action, une entreprise courageuse et ambitieuse, tout en cherchant à comprendre ses limites et ses potentialités. Cette dissertation tâchera donc de jeter un regard critique et équilibré sur la nécessité – ou non – de certitudes pour agir.

I. Comprendre la notion de certitude: Entre nécessité et illusion

La certitude se définit généralement comme une conviction indubitable, c’est-à-dire une croyance en la véracité d’une proposition de laquelle aucun doute n’est permis. Elle semble rationnelle car fondée sur des preuves ou des évidences. Toutefois, la certitude représente toujours un danger, celui de l’illusion, en particulier lorsqu’elle se dresse comme un obstacle à la remise en question et à la recherche de la vérité.

Dans la tradition philosophique, René Descartes insiste sur l’importance de la certitude comme fondement de la connaissance. Dans le « Discours de la méthode », il propose de « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ». Ceci implique de ne se reposer que sur des évidences indubitables, établies par le recours à la raison. C’est ce principe qui lui permet d’en arriver à son fameux cogito ergo sum : « je pense donc je suis », preuve irréfutable de l’existence du sujet pensant.

Pourtant, la certitude absolue semble impossible pour des êtres aussi limités que nous. Kant dans la « Critique de la raison pure » suggère que nos connaissances sont limitées à nos perceptions et nos expériences, ce qui nous oblige à admettre l’incertitude inhérentes à nos déductions. Notre perception du monde ne peut jamais être entièrement précise et objective, notre certitude est alors limitée et tributaire de notre subjectivité.

Enfin, la certitude peut aussi se révéler pernicieuse, surtout lorsqu’elle est détachée de toute forme d’évidence ou de preuve. Certaines certitudes, plus dogmatiques qu’empiriques, peuvent engendrer des comportements extrêmes, allant jusqu’à l’intolérance et la violence. On voit donc que le besoin de certitude peut également témoigner d’une angoisse face à l’incertitude, et peut, si on n’est pas prudent, conduire à l’illusion.

II. L’incertitude comme moteur d’action: Les enseignements de la philosophie sceptique

Loin de prôner une certitude inébranlable, la philosophie sceptique propose une attitude de doute et d’incrédulité face la connaissance. Cela pourrait, à première vue, sembler paralysant. Pourtant, l’incertitude peut être vue comme un catalyseur puissant pour l’action.

Le scepticisme, tel qu’il a été formulé par Pyrrhon d’Élis, invite à suspendre son jugement devant l’inaccessibilité de la vérité. Cette suspension du jugement, loin d’immobiliser, peut être libératrice : elle libère de la peur de l’erreur, du doute angoissant et permet de se concentrer sereinement sur l’action.

Selon cette perspective, l’incertitude non seulement n’empêche pas l’action mais elle la stimule. La certitude peut être immobile car elle n’a pas besoin de chercher plus loin, tandis que l’incertitude, confrontée à l’inconnu et au doute, ressent le besoin de chercher, d’explorer, de comprendre. On retrouve cette idée chez Nietzsche, pour qui « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ».

L’incertitude, ainsi envisagée, n’est plus paralysante mais stimulante. Elle appelle à l’ouverture, à la curiosité et à l’imagination pour agir dans un monde incertain et imprévisible. L’agir dans l’incertitude devient un défi constant et une source de motivation pour l’action.

III. Agir sans certitude: Une pratique courante et nécessaire

Dans la vie quotidienne, nous sommes régulièrement confrontés à des situations où nous devons agir sans disposer de certitudes. Que cela soit pour prendre une décision complexe ou répondre à une situation inédite, l’agir dans l’incertitude est plus courant qu’il n’y paraît.

De fait, si nous ne devions agir qu’avec certitude, notre champ d’action serait extrêmement restreint. Comme le souligne Pascal dans ses « Pensées », « l’homme n’agit jamais qu’en poursuivant l’infini ». Nous nous engageons constamment dans des actions dont l’issue est incertaine, motivées par la possibilité d’un résultat possible, et non par la certitude de sa réalisation.

Ainsi, agir sans certitude est non seulement une pratique courante, mais elle est aussi une nécessité. Dans un monde complexe et en perpétuelle mutation, l’incertitude est plus la règle que l’exception. Agir sans certitude implique la capacité à prendre des risques, à faire des choix en pesant les différentes possibilités et à assumer les conséquences de ses actions.

IV. La quête de certitude dans l’action: Une exploration de ses limites et ses potentialités.

Cependant, malgré la force motrice que peut représenter l’incertitude, la quête de certitude dans l’action n’est pas sans valeur. Elle peut même être vue comme une démarche constructive et féconde, à condition de connaître ses limites et ses potentialités.

La quête de certitude favorise la clarification des objectifs et la précision de la démarche. En recherchant de la certitude, l’individu cherche à comprendre, à analyser et à prévoir. Ces efforts peuvent améliorer sa capacité à prendre des décisions éclairées et à agir de façon plus efficace.

Cependant, cette quête a ses limites. La recherche de la certitude peut parfois se transformer en obsession, conduisant à l’immobilisme ou à la rigidité. Il est donc essentiel de savoir modérer cette quête, accepter l’inévitabilité de l’incertitude et chercher un équilibre entre certitude et incertitude dans l’action.

En outre, la certitude est une source de tranquillité et de sécurité. Elle peut permettre d’agir avec assurance et sérénité, en réduisant l’angoisse de l’erreur et en renforçant notre estime de soi. Toutefois, cette confiance doit être fondée sur une réflexion approfondie et une analyse critique rigoureuse.

Conclusion

En conclusion, la certitude apparait à la fois comme une aspiration légitime et un leurre potentiellement paralysant lorsqu’il s’agit d’agir. La certitude peut donner une direction, un sentiment de sécurité, mais elle risque également d’occulter les alternatives, de masquer la réalité dans sa complexité et sa diversité. La philosophie sceptique nous invite à envisager l’incertitude comme un catalyseur, plutôt que comme une contrainte. Agir sans certitude, loin d’être une déficience, est finalement une pratique courante et nécessaire qui reflète la richesse et le dynamisme de la réalité. Plutôt que de chercher à tout prix des certitudes dans notre action, il semble alors préférable d’accepter et d’embrasser le doute et l’incertitude, ainsi que leur potentiel de créativité et d’innovation. Il s’agit de parvenir à une forme de sagesse qui ne soit pas synonyme de résignation, mais de lucidité et de courage. En définitive, notre analyse suggère qu’agir ne requiert pas nécessairement des certitudes; il demande plutôt de savoir naviguer dans l’incertitude.