Le concept de nature a souvent été associé à quelque chose d’inaltérable, d’immuable et d’éternel. Par opposition, l’histoire est la discipline qui étudie le changement, le mouvement, la transformation. Cela semble suggérer que ce qui est naturel échappe à l’histoire, ne la subit pas et ne la traverse pas. Toutefois, cette perspective est-elle vraiment pertinente et suffisante pour comprendre le rapport entre la nature et l’histoire? Peut-on véritablement affirmer que la nature est immunisée contre les évolutions historiques? Cette question invite à une réflexion approfondie : quelles sont les définitions conceptuelles de la nature et de l’histoire ? Quels sont les liens entre le naturel et l’évolution historique? L’histoire a-t-elle un impact inévitable sur ce qui est naturel? Enfin, faut-il remettre en question l’idée selon laquelle l’histoire modifie la nature? Cette dissertation tâchera de répondre à ces interrogations. Au travers des différentes sections, nous explorerons l’interaction possible entre ce qui semble intangible et immobile (la nature) et ce qui est incessamment en mouvement (l’histoire).
I. Définition conceptuelle de la nature et de l’histoire
La nature, tantôt signifiée en tant que réalité physique indépendante de l’homme, tantôt individualisée comme l’essence inhérente d’un être, ne peut être saisie sans susciter une complexité certaine. Elle est souvent perçue comme une entité extérieure à l’homme, indomptée et inaltérable, détenue par des forces et des lois qui lui sont propres : biologie, géologie, physique, chimie. Toutefois, l’homme, de par son essence, participe lui-même à cette nature, intégré à l’écosystème et soumis à ces mêmes lois naturelles.
L’histoire, quant à elle, est définie par Ricoeur comme la science des réalisations humaines inscrites dans le temps. La finalité première de l’histoire est la compréhension des événements passés et leur mise en ordre chronologique pour permettre à l’homme de comprendre son présent au sein d’une trajectoire collective. L’histoire est marquée par une suite d’événements issue des actions des hommes, leurs cultures, leurs luttes, leurs croyances et leurs idéologies.
Ainsi, le couplage de ces deux concepts éveille une curiosité particulière. Comment la nature, extérieure, immuable et quasi-divine, peut-elle être modelée par l’histoire, construite par les hommes et leurs actions ? Plus spécifiquement, est-ce que ce qui est naturel échappe à l’histoire ?
II. L’étude du naturel à travers l’évolution historique
L’espèce humaine est inconditionnellement liée à la nature. Comme nous l’avons noté, l’homme est certes un être culturel mais il reste un produit de la nature et donc soumis à ses lois et ce, quelle que soit l’évolution de notre rapport à celle-ci. Effectivement, notre histoire est marquée non seulement par les tentatives humaines de domination de la nature, mais aussi par notre adaptation aux lois naturelles.
Au cours des siècles, et plus particulièrement depuis la révolution industrielle, l’histoire humaine a tracé une route de plus en plus largement tributaire de notre interaction avec l’environnement naturel. Du travail de la terre à l’agriculture intensive, de la cueillette à la chasse puis à l’élevage, chaque étape dans la marche de l’histoire a eu des impacts sur notre environnement naturel.
Alors, on peut dire, sans hésitation, que l’histoire, dans sa globalité, influence le naturel, le façonne, et souvent, malheureusement, le dégrade. Comme le souligne Jean-Paul Sartre dans l’Être et le Néant, « l’homme est condamné à être libre », à faire des choix qui impactent aussi bien la nature, que lui-même en tant que partie intégrante de cette nature.
III. L’impact inévitable de l’histoire sur ce qui est naturel
Considérant ces faits, on a tendance à voir l’histoire comme une vaste entreprise de transformation de la nature. L’influence de l’histoire sur le naturel se voit à travers notamment notre impact sur le climat, la pollution de l’eau et de l’air et l’épuisement de nos ressources naturelles.
L’histoire humaine a donc un impact sur ce qui est naturel. L’homme a modelé son environnement à travers un phénomène que Bruno Latour nomme la coproduction de la nature et de la société, où les deux se moulent réciproquement. Toutefois, il convient de noter que l’homme, au travers de son histoire, ne crée pas la nature. Il la modifie. Instinctivement, on pourrait penser que la nature, en tant que force indépendante, ne peut être façonnée par les actions humaines.
Cependant, il est évident à regarder notre monde aujourd’hui que l’impact de l’histoire humaine sur la nature est non seulement profond, mais aussi possiblement irréversible. Ici, il s’agit moins de savoir si ce qui est naturel échappe à notre histoire, mais plutôt de comprendre comment nous, en tant qu’espèce, pouvons réorienter notre histoire pour qu’elle ait un impact moins dévastateur sur ce qui est naturel.
IV. Remise en question : l’histoire modifie-t-elle vraiment la nature ?
Toutefois, cette perspective pourrait être remise en cause lorsque l’on s’interroge sur la notion même de nature. Effectivement, on pourrait argue que la nature, en tant qu’entité, n’existe qu’à travers notre perception anthropocentrique de celle-ci. Autrement dit, ce qui est « naturel » que nous croyons modifié par l’histoire pourrait-être en réalité une construction sociale.
Plus ignorer, il faut admettre que l’histoire, aussi vaste soit-elle, n’est pas une force omnipotente. Comme l’a fait remarquer Gaston Bachelard, un des plus influents philosophes français du XXe siècle, dans la Psychanalyse du Feu : « La nature nous donne des faits, et notre esprit donne des lois ». En d’autres termes, des processus naturels comme la sélection naturelle, l’évolution biologique ou les facteurs environnementaux tels que le climat et la géologie sont largement indépendants de l’histoire humaine.
Ainsi, on pourrait soutenir que bien que l’histoire humaine ait un impact significatif sur certaines aspects du naturel, notamment ceux qui sont directement touchés par notre activité (comme l’environnement), ce qui est véritablement naturel – les lois de la nature elles-mêmes – échappera toujours à l’histoire. Quoi qu’il en soit, un certain niveau de nuance est absolument nécessaire dans ce débat.
Conclusion
En conclusion, le rapport entre la nature et l’histoire est complexe et indissociable. Si la nature existe en dehors et avant toute présence humaine, elle n’échappe pas pour autant à l’histoire. L’étude de l’évolution historique montre l’impact majeur des actions humaines sur la nature. Cependant, cette interaction entre nature et histoire ne signifie pas nécessairement que l’histoire modifie intrinsèquement la nature. En effet, la nature a ses propres lois immuables que l’histoire peut certes perturber, mais non changer fondamentalement. Dans le même temps, l’idée de nature évolue aussi historiquement, en fonction des progrès scientifiques et des changements culturels. En définitive, tout en restant différent, le naturel et l’historique s’interpénètrent et se transforment mutuellement dans un processus dynamique et dialectique. La compréhension de leur lien nécessite donc une approche globale, transcendant la division simple et statique entre nature et histoire.