Dire que l’art qu’il n’est pas utilitaire, est-ce dire qu’il est inutile ?

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L’art a toujours occupé une place prépondérante dans notre société. Il est partout autour de nous, des chefs-d’œuvre des grands musées aux graffiti dans la rue, en passant par la musique, la danse, la littérature et le cinéma. Toutefois, une question demeure : l’art est-il utile ? La réponse à cette question peut sembler évidente pour certains, pour d’autres, c’est beaucoup plus complexe. En effet, de prime abord, l’art peut être perçu comme non utilitaire. Il ne répond pas directement à nos besoins primaires comme manger, boire ou dormir. Pourtant, il semble jouer un rôle essentiel dans notre existence. Procède-t-on à une erreur en affirmant qu’étant donné qu’il n’est pas utilitaire, l’art serait inutile ? Pour aborder cette problématique, nous explorerons d’abord l’essence même de l’art et la perception communément admise de celui-ci. Nous analyserons ensuite la notion de l’art comme objet non-utilitaire. Nous réexaminerons ensuite l’association couramment faite entre utilité et valeur. Enfin, nous reconsidérerons la notion d’utilité de l’art, en allant au-delà de l’aspect strictement utilitaire.

I. L’art : son essence et sa perception communément admise

Le concept de l’art, au sens large, peut être difficile à cerner en raison de sa diversité de formes et de son caractère subjectif. On pourrait d’abord soutenir, avec Aristote, que l’art est une imitation de la nature, une manière de représenter le monde réel de manière esthétiquement agréable. Dans cette optique, l’art pourrait avoir une utilité indirecte en nous offrant une manière de comprendre et d’interagir avec le monde. Cependant, cette approche pourrait être critiquée comme insuffisante, car elle n’englobe pas toutes les formes d’art, par exemple l’art abstrait, qui n’a pas pour objet de représenter le monde extérieur.

Outre cette manière classique de percevoir l’art, une perception plus récente suggère que l’art n’a pas nécessairement besoin d’être utile pour être précieux. Cette idée, souvent attribuée à l’esthétique du XIXe siècle, affirme que l’art existe pour son propre bien, qu’il n’est pas un moyen pour atteindre une fin mais une fin en soi. Par exemple, Oscar Wilde affirme dans son essai « The Decay of Lying » que « Tout art est inutile ». Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer une fonction spécifique à l’art pour lui reconnaître de la valeur.

II. L’art comme objet non-utilitaire : exploration de cette notion

Pour définir l’art comme un objet non-utilitaire, il pourrait être utile de discuter de ce que nous entendons par « utilité ». Dans le langage commun, quelque chose est utile s’il favorise le bien-être de l’individu, s’il satisfait un besoin concret ou s’il aide à atteindre un objectif particulier. De ce point de vue, l’art pourrait sembler inutile : une peinture ou une pièce de théâtre n’aide pas directement à survivre, à obtenir un emploi ou à gagner de l’argent.

Cependant, cette interprétation de l’utilité est assez étroite et limitée. Comme l’affirme Friedrich Nietzsche, « L’art est plus nécessaires que la vérité ». En cela, l’art peut avoir une grande utilité émotionnelle ou spirituelle, en nous aidant à comprendre nos propres pensées et sentiments, à exprimer des idées ou des émotions qui seraient autrement inexprimables et à établir des connections avec autrui à un niveau plus profond.

III. Retour sur l’association entre utilité et valeur

Il convient de considérer ici si l’utilité est toujours un indicateur valable de valeur. Dans certains cas, nous valorisons les objets ou les activités précisément parce qu’ils sont utiles. Cependant, il existe de nombreux exemples de choses que nous valorisons malgré leur absence apparente d’utilité. Par exemple, les loisirs comme la lecture d’un roman ou l’écoute de la musique, pourraient ne pas avoir d’utilité directe, mais néanmoins nous les valorisons pour le plaisir et le divertissement qu’ils procurent.

De même, l’art pourrait être apprécié pour ses qualités intrinsèques, indépendamment de toute utilité. Ainsi, plutôt que de juger l’art sur la base de ce qu’il fait (ou ne fait pas), nous devrions peut-être le juger sur la base de ce qu’il est. Comme l’affirme Immanuel Kant, « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept ». En d’autres termes, nous devrions être capable d’apprécier l’art pour sa beauté et sa capacité à susciter des réactions émotionnelles, même si nous avons du mal à identifier une utilité concrète.

IV. Reconsidérer la notion d’utilité de l’art : au-delà de l’aspect utilitaire

Après avoir exploré la possibilité que l’art soit un objet non-utilitaire, nous pourrions maintenant réévaluer la notion d’utilité et la manière dont elle s’applique à l’art. Plutôt que de considérer l’utilité uniquement en termes de besoins pratiques ou matérialistes, nous pourrions envisager une notion d' »utilité spirituelle » où l’art est considéré comme contribuant à notre bien-être émotionnel et psychologique.

L’art peut avoir une utilité en ce qu’il nous aide à comprendre et à exprimer des émotions, suscitant en nous une réflexion, développant notre sens esthétique et notre capacité d’empathie. Comme l’affirme Albert Einstein, « La vraie valeur d’un être humain se détermine d’abord en examinant dans quelle mesure et dans quel sens il est parvenu à se libérer du moi ». Dans cette perspective, l’art a une fonction cruciale en nous aidant à transcender notre ego, en nous connectant à des expériences et des émotions universelles.

De plus, sans se réduire à n’être que moyen pour communiquer des idées politiques, sociales ou culturelles, l’art peut incarner et transmettre des messages profonds, en instaurant un débat, de susciter des questionnements critiques et en provoquant parfois des changements sociaux profonds. De ce point de vue, la valeur et l’utilité de l’art ne se retrouvent pas seulement dans la satisfaction esthétique mais dans sa capacité à engager une réflexion, à provoquer un questionnement et à inspirer un changement.

Conclusion

En conclusion, bien que l’art ne soit généralement pas considéré comme un bien utilitaire, il apparaît plus qu’essentiel dans la vie de l’homme. Il dépasse le simple cadre de l’utilité pratique pour embrasser une utilité culturelle, sociale et spirituelle. Son rôle dépasse donc les notions de productivité et de rendement pour se situer dans un épanouissement personnel et sociétal. L’art nous propose une autre manière d’appréhender et de comprendre le monde, il nourrit notre esprit critique et notre sensibilité. C’est cette utilité-là, moins tangible mais tout aussi vitale, qui confère à l’art une valeur inestimable. En effet, loin d’être inutile, l’art occupe une place centrale dans notre existence, en nous offrant une manière unique d’exprimer et de ressentir la réalité. En fin de compte, l’art n’est pas un objet à juger en termes d’efficacité, mais une expérience à vivre, un voyage à entreprendre, une source intarissable d’émotions et de réflexions. Sa tâche est donc bien plus profonde et influente que sa simple utilité pourrait l’indiquer.