Agir moralement, est-ce nécessairement lutter contre ses désirs ?

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Dans l’univers des dilemmes moraux de la vie quotidienne, il apparaît souvent que nos désirs personnels entrent en conflit avec nos principes éthiques. Cette opposition semble nous amener à une question centrale de philosophie morale : « Agir moralement, est-ce nécessairement lutter contre ses désirs ? » Cette dissertation tentera d’aborder cette interrogation à travers quatre axes principaux. D’abord, une analyse conceptuelle sera proposée pour nous aider à comprendre les désirs et la morale. Ensuite, nous nous pencherons sur le conflit inhérent entre les désirs personnels et les devoirs moraux. Dans la troisième partie, nous chercherons à comprendre le rôle de la lutte contre les désirs dans l’action morale. Enfin, nous réinterpréterons la nécessité de lutte contre les désirs pour rechercher une harmonie possible entre désirs et morale. Au-delà de ces analyses, notre objectif sera de comprendre si la morale doit forcément être perçue comme une lutte constante contre nos désirs, ou si un équilibre satisfaisant peut être atteint.

I. Analyse conceptuelle : comprendre les désirs et la Morale

Le désir, dans une perspective philosophique, est vu généralement comme une force qui pousse les individus vers des actions qu’ils estiment bénéfiques pour eux. Il y a une visée personnelle, voire égoïste, qui est attachée à ce concept. D’après l’éthique hédoniste, par exemple, le désir est un guide de l’action, dans la mesure où il favorise la recherche du plaisir et la fuite de la souffrance.

La morale, en revanche, se préoccupe d’une dimension universelle. Elle est un ensemble de règles, de principes qui régissent les actions individuelles dans le but d’assurer le bien-être collectif. En ce sens, on peut dire que la morale vise à transcender la dimension individuelle, égoïste du désir pour installer une dimension collective, altruiste de l’action.

Il y a donc, dès cet examen initial, une tension évidente entre les désirs et la morale. Tandis que les désirs peuvent être considérés comme naturels, instinctifs et auto-centrés, la morale semble être une construction sociale, une norme collective exigeant une réflexion et souvent un sacrifice personnel pour le bien de tous.

C’est avec ce contraste entre une visée strictement personnelle, immédiate, de satisfaction des désirs, et le but universel, différé, de la morale qu’il faut engager l’étude du rapport entre l’action morale et la lutte contre les désirs.

II. Le conflit inhérent entre désirs personnels et devoirs moraux

L’observation quotidienne de la vie en société montre clairement que les individus sont régulièrement confrontés à des situations dans lesquelles ils doivent faire un choix entre satisfaire leurs désirs et se conformer aux exigences de la morale. On peut parler ici d’un conflit, d’une lutte entre les désirs personnels et les devoirs moraux.

Dans ce contexte, la morale peut exiger que l’individu renonce à certaines de ses aspirations personnelles pour la satisfaction du bien commun. C’est ce que Kant a appelé le « devoir », la nécessité de respecter la loi morale au-delà de nos désirs et inclinations. Pour Kant, la véritable action morale ne peut être guidée par le désir, mais doit être déterminée par la raison pour respecter l’universalité de la loi morale.

▶️ Du conflit inhérent entre désirs personnels et devoirs moraux découleraient donc deux options : soit le triomphe des désirs, avec pour conséquence une atteinte à la morale, soit la victoire de la morale, avec pour prix le sacrifice des désirs. Voilà qui nous amène à la place de la lutte dans l’action morale.

III. Le rôle de la lutte contre les désirs dans l’action morale

Dans ce contexte, on peut dire que la lutte contre les désirs est une dimension importante, voire inévitable de l’action morale. Que cela est dû au fait qu’une satisfaction indifférenciée des désirs peut compromettre la morale, la paix sociale, la dignité de l’homme.

En outre, il faut noter que la lutte n’est pas nécessairement une suppression des désirs. Elle peut être une régulation, une canalisation de ces désirs dans le respect des valeurs morales. C’est ce qu’ont soutenu certains penseurs stoïciens, pour lesquels la vertu ne consiste pas à supprimer les désirs, mais à les diriger correctement.

Néanmoins, cette lutte peut être perçue comme une contrainte, une restriction de la liberté individuelle. Cela pourrait amener à penser que si l’action morale nécessite toujours un combat contre les désirs, alors la morale est une sorte de prohibition des désirs. Mais on pourrait aussi aboutir à une autre appropriation de la lutte.

IV. Réinterprétation de la nécessité de lutte contre les désirs : vers une harmonie entre désirs et Morale.

Sans nier le conflit initial entre désirs et morale, on peut envisager une autre issue : et si la morale, plutôt que d’être une lutte contre les désirs, était une manière de purifier, de sublimer ces désirs ?

C’est par exemple, le point de vue qu’introduit Spinoza dans son éthique : « Nous ne désirons rien parce que nous le jugeons bon ou mauvais. Au contraire, nous jugeons une chose bonne ou mauvaise parce que nous la désirons ou que nous ne la désirons pas ». Le désir serait la base de la morale et non son adversaire.

En outre, l’hypothèse de la réconciliation entre désirs et morale est soutenue par des penseurs tels que Aristote, pour lequel la vertu est une voie médiane entre l’insuffisance et l’excès du désir.

Conclusion

En conclusion, agir moralement ne signifie pas nécessairement lutter contre ses désirs, bien que ces deux aspects peuvent être en conflit. Les désirs et la morale sont tous deux des éléments clés de la nature humaine et il est important de comprendre leur nature et leur dynamique. L’agissement moral demande du courage et une volonté de contrôler et de diriger nos désirs plutôt que de les supprimer. La lutte contre les désirs n’est pas toujours nécessaire pour une action morale, car il est aussi possible de canaliser ces désirs de manière constructive et morale. Au lieu de percevoir les désirs et la morale comme des forces opposées, il est plus bénéfique de chercher une harmonie entre eux, de réévaluer et de réinterpréter nos désirs en fonction de nos principes moraux. Ainsi, la lutte n’est pas contre les désirs en eux-mêmes, mais plutôt contre les désirs qui ne respectent pas la morale. Agir moralement et avoir des désirs ne sont pas mutuellement exclusifs; plutôt, il s’agit de diriger nos désirs vers de bonnes actions qui reflètent non seulement notre nature humaine mais aussi notre engagement envers une vie juste et morale.

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