Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-même et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient ; gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point ; mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont frappé c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure (1) ; pour le connaître il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche et semble se communiquer à celui qui l’aperçoit.
Jean-Jacques ROUSSEAU, Rêveries du promeneur solitaire
L’extrait provient du philosophe grec antique Aristote, tiré de son œuvre « Les Politiques ». Dans ce passage, Aristote explore la question de savoir s’il est préférable d’être gouverné par un dirigeant vertueux (l’homme le meilleur) ou par des lois bien établies (les lois les meilleures). Il aborde également la question de la relation entre les lois générales et les cas particuliers, ainsi que la nécessité d’une législation dans la société. Pour comprendre en profondeur ce texte, nous allons le diviser en six sections et les analyser en détail.
Section 1 : Le dilemme entre gouvernement par un homme vertueux et gouvernement par des lois
Aristote pose d’abord la question fondamentale de la gouvernance : est-il préférable d’être gouverné par un dirigeant vertueux ou par des lois bien établies ? Il évoque une opinion commune selon laquelle un roi ou un dirigeant vertueux peut prendre des décisions en fonction des circonstances spécifiques, tandis que les lois ne peuvent que définir des règles générales. Il introduit ainsi le débat entre un gouvernement fondé sur la vertu et un gouvernement fondé sur la loi.
Section 2 : La limitation des lois écrites
Aristote avance que ceux qui prônent un gouvernement basé sur un roi ou un dirigeant vertueux estiment que les lois ne peuvent prescrire que des règles générales et ne sont pas en mesure de régir les situations particulières. Il utilise l’analogie d’un art pour illustrer ce point. Tout comme il serait insensé de suivre strictement des règles écrites dans un domaine artistique, les lois ne peuvent pas toujours anticiper toutes les circonstances. Il mentionne également une pratique en Égypte où les médecins peuvent s’écarter des traitements manuels après quatre jours, mais avant cela, ils le font à leurs risques et périls.
Section 3 : La nécessité de règles universelles pour les gouvernants
Aristote soutient que malgré les limitations des lois écrites, il est nécessaire d’avoir des règles universelles pour guider les gouvernants. Il affirme que celui qui n’est pas passionné est meilleur que celui qui l’est naturellement. Cela signifie que les dirigeants doivent être guidés par des principes rationnels plutôt que par leurs émotions. Les lois fournissent ces principes rationnels et universels.
Section 4 : La nécessité d’une législation
Aristote admet qu’il est nécessaire d’avoir des lois, mais il souligne que les lois ne doivent pas être souveraines (absolues) lorsqu’elles dévient de ce qui est bon. Il semble suggérer que les lois devraient être flexibles et adaptées aux circonstances, plutôt que de s’attacher rigoureusement à des principes généraux. Cette flexibilité permettrait une meilleure délibération sur les cas particuliers.
Section 5 : Le rôle du législateur
Aristote affirme que le législateur est nécessaire pour établir des lois. Cependant, il ne spécifie pas qui devrait être ce législateur ou comment il devrait être choisi. Il considère le législateur comme une personne capable de délibérer rationnellement et de créer des lois qui promeuvent le bien commun.
Section 6 : La souveraineté des lois dans certains domaines
Aristote conclut en disant que les lois doivent être souveraines dans certains domaines, mais pas dans tous. Il n’explique pas en détail quels domaines devraient être soumis à la souveraineté des lois et lesquels devraient être plus flexibles. Cependant, il suggère que les lois doivent être adaptées aux circonstances pour être efficaces.
En résumé, cet extrait d’Aristote aborde des questions cruciales de gouvernance, de législation et de rôle des lois dans la société. Il soulève la tension entre la nécessité de lois universelles pour guider les gouvernants et la nécessité de flexibilité pour traiter des cas particuliers. Bien que le texte n’apporte pas de réponses définitives, il incite à réfléchir sur la manière dont les lois et les dirigeants devraient être équilibrés pour atteindre une gouvernance optimale.