Ce qui est indémontrable est-il pour autant incertain ?

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Introduction

La quête de la certitude semble être un moteur fondamental de la raison humaine. Nous cherchons à comprendre le monde, à distinguer le vrai du faux, à établir des fondations solides pour nos croyances et nos actions. La méthode déductive, incarnée par la démonstration rigoureuse propre aux mathématiques et à certaines formes de logique, apparaît généralement comme l’un des moyens les plus fiables pour parvenir à cette certitude. Mais qu’en est-il des vérités qui échappent à la démonstration? Ce qui est indémontrable est-il nécessairement incertain? Cette question ouvre un champ de réflexion sur les limites de la rationalité et la possibilité d’autres formes d’accès au savoir ou à la vérité. Nous tenterons dans cette dissertation d’explorer les relations entre démonstration, certitude et indémontrabilité afin de déterminer si l’indémonstrable peut tout de même être objet de certitude par d’autres moyens.

Dans un premier temps, nous examinerons l’idée selon laquelle la démonstration est un critère nécessaire de la certitude. Puis, nous nous pencherons sur les limites de la connaissance humaine, en confrontant l’indémontrable à la raison. Enfin, nous explorerons la dimension de la foi comme une possible voie vers la certitude, avant de nous demander si la certitude est envisageable sans preuve.

I. La démonstration : un critère nécessaire de la certitude ?

Traditionnellement, on associe la certitude à un savoir démontré ou démontrable. La démonstration repose sur une chaîne d’arguments logiques qui, à partir de prémisses certaines, permettent d’établir une conclusion de façon irréfutable. Les sciences exactes, particulièrement les mathématiques, illustrent cette quête incessante de la certitude à travers la démonstration. Par exemple, un théorème mathématique n’est accepté que s’il a été formellement prouvé grâce à des règles précises de déduction. Dans ce contexte strictement rationnel, la certitude semble être indissociable de la démonstration.

Pourtant, une question apparaît : cette nécessité de la preuve formelle ne concerne-t-elle que certains types de vérités? Les sciences exactes peuvent démontrer des relations à l’intérieur de systèmes clos tels que l’algèbre ou la géométrie, mais leur méthode ne peut être appliquée à toutes les dimensions du réel. En effet, certaines disciplines, notamment les sciences humaines ou la philosophie, ne peuvent suivre la même rigueur mathématique. Ici, la démonstration rigide apparait plus difficile à saisir puisqu’elle convoque des concepts plus abstraits et parfois flous. Par conséquent, bien que la démonstration soit un critère de certitude dans certains domaines, elle n’est pas toujours réalisable ou pertinente dans d’autres.

Le philosophe René Descartes, dans ses Méditations métaphysiques, soutient que seule l’évidence claire et distincte peut conduire à la certitude. Mais cette clarté ne repose pas uniquement sur des démonstrations logiques, mais sur une conviction intime dans l’esprit rationnel. Ainsi, bien que Descartes accorde une place prépondérante à la raison, il ouvre tout de même la porte à une forme de certitude immédiate qui ne passe pas toujours par des démonstrations laborieuses. Cela nous conduit à reconsidérer cette association stricte entre démonstration et certitude, surtout lorsqu’on aborde des réalités qui dépassent le cadre strictement rationnel.

II. Limites de la connaissance : l’indémontrable face à la raison

Tout ce qui est vrai ne peut pas forcément être démontré par des moyens strictement rationnels. La nature humaine est limitée : notre logique a ses bornes, notre perception est fragmentaire, et notre capacité à comprendre la réalité dans son intégralité est souvent entravée par nos propres limitations. Il existe ainsi des domaines de la réalité qui échappent à la démonstration telle que la conçoivent les sciences exactes, et cela ne signifie néanmoins pas que ces réalités sont nécessairement incertaines ou fausses. Au-delà de la raison déductive, il y a des formes de compréhension qui échappent à la stricte méthodologie démonstrative.

Prenons, par exemple, la question de l’existence de l’infini en mathématiques, ou des univers multiples en physique théorique. Bien que ces concepts soient pensés et parfois modélisés, une démonstration classique définitive de leur existence ou de leur non-existence échappe, et peut-être échappera toujours, aux possibilités humaines. Cela illustre que certains objets de pensée ne sont peut-être pas démontrables en raison de nos outils limités. Pourtant, rien ne prouve que ces concepts soient faux pour autant. Par conséquent, si la démonstration reste un outil précieux, il ne saurait être un outil unique et exclusif pour accéder à la vérité.

Par ailleurs, certaines questions philosophiques échappent par nature à la démonstration. Le problème de la liberté humaine, par exemple, peut difficilement se prêter à une démonstration logique indiscutable. Les opposants à la thèse de la liberté pourraient toujours objecter qu’il s’agit d’une illusion. Pourtant, la complexité de l’existence humaine, irrésoluble par le calcul, soulève l’idée que certaines certitudes peuvent exister au-delà de l’approche purement rationnelle et logique. La démarche rationnelle a donc des limites intrinsèques, qui sont issues à la fois de la finitude humaine et des objets d’étude concernés.

Face à l’indémontrabilité de certaines notions, une autre piste consiste à envisager l’intuition. Descartes, en postulant la certitude du cogito (« Je pense, donc je suis »), offre un exemple d’intuition immédiate qui n’a besoin d’aucune démonstration logique pour être tenue pour certaine. L’intuition est une forme de connaissance directe, qui ne repose pas sur une chaîne de raisonnement, mais qui peut néanmoins se sentir aussi solide et évidente qu’une démonstration mathématique.

III. L’indémontrable et la foi : une autre voie vers la certitude

Si la raison et la démonstration ne suffisent pas toujours à nous mener à la certitude, il est légitime de se demander si d’autres voies de connaissance, traditionnellement non-rationnelles, peuvent offrir des certitudes malgré l’absence de preuves formelles. La foi, par exemple, est une forme d’engagement intellectuel ou spirituel qui repose souvent sur des concepts indémontrables, voire transcendants. Dans de nombreuses traditions religieuses, les fidèles acceptent comme vraie l’existence de Dieu malgré l’absence d’une preuve démonstrative irréfutable de son existence.

Saint Thomas d’Aquin, dans sa Somme théologique, aborde cette question du rapport entre foi et raison. S’il cherche à montrer que la raison humaine peut élever notre compréhension de Dieu, il reconnait aussi que certaines vérités religieuses ne peuvent être que l’objet de la foi. La foi engage alors la certitude, non par une démonstration mathématique ou logique, mais par une expérience intérieure et une adhésion à des vérités qui dépassent la capacité humaine de démontrer.

Ce type de certitude ne repose pas sur des preuves extérieures, observables et reproductibles, mais elle est vécue de manière aussi intense et impérative qu’une certitude rationnelle. Pour le croyant, la certitude issue de la foi peut elle aussi se donner sur le mode de l’évidence : bien qu’elle soit indémontrable, elle est vécue comme incontestable. Pour illustrer cette idée, prenons l’exemple de l’espérance : même si elle manque de toute justification rationnelle immédiate, elle n’en est pas moins une conviction profonde pour ceux qui l’expérimentent.

La foi introduit donc un domaine particulier où il est possible de croire et d’être certain sans démonstration. Cela ouvre la porte à une réflexion plus large sur les modalités de l’accès à la certitude et montre qu’une telle certitude ne saurait être cantonnée à la seule rationalité. Est-il donc possible d’être certain sans preuve tangible? Le cœur du problème semble être ici une révision de notre définition de la connaissance elle-même.

IV. Peut-on être certain sans preuve ?

La question de la certitude sans preuve semble poser un défi à notre conception moderne du savoir, souvent influencée par l’empirisme et la méthode scientifique. Pourtant, en creusant, on constate que même dans le cadre scientifique, il existe des intuitions ou des hypothèses fortement tenues pour vraies sans preuve directe. Les théories scientifiques, dans leur phase de développement, reposent d’abord sur des intuitions que l’on tente ensuite de prouver. Une certitude provisoire existe donc parfois sans une démonstration immédiate, dans l’attente de vérifications empiriques à venir.

En dehors du domaine scientifique, il est également possible d’imaginer des certitudes personnelles, subjectives et néanmoins extrêmement robustes. Par exemple, dans les relations humaines, nous pouvons être certains de l’amour d’un proche sans posséder de preuves objectives et démontrables. Cette certitude ne repose pas sur une démonstration en bonne et due forme, mais sur une forme d’évidence existentielle ou affective.

Néanmoins, il existe une nuance importante à faire ici entre une certitude subjective et une certitude objective. La première dépend étroitement de l’individu ou du contexte émotionnel, tandis que l’autre relève d’une vérité extérieure et universelle, applicable à tout un chacun. Cela nous amène à nous demander si les certitudes qui ne reposent pas sur des preuves formelles peuvent être universelles ou demeurent fondamentalement subjectives.

Ainsi, dans certains domaines, il semble possible d’accéder à la certitude sans preuve. La certitude ne semble pas seulement relever du terrain de la rationalité et de la démonstration. Il est potentiellement envisageable de « savoir » de manière différente, et de vivre certaines vérités comme certaines même en l’absence de démonstration formelle.

Conclusion

La démonstration ne peut pas être le seul critère de la certitude. Notre connaissance du monde ne se restreint pas à ce qui peut être formellement prouvé. Certains objets de pensée ou de croyance échappent par nature à la démonstration, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient incertains. L’indémontrable ne se réfère alors ni à l’erreur, ni à la fausseté, mais à une limite de nos outils rationnels. À travers la foi, ou l’intuition, il semble bien possible d’accéder à des certitudes sans qu’elles ne reposent nécessairement sur des preuves explicites. La question nous invite donc à reconsidérer le statut de la vérité et les moyens d’y accéder, en admettant que la certitude puisse exister sous des formes différentes de ce que la logique démonstrative permet d’atteindre. Par conséquent, ce qui est indémontrable n’est pas toujours synonyme d’incertitude.